BSPCE : oui ou non ?
Le sujet des BSPCE est un sujet assez mal connu et apprécié en France. Il semble encore peu connu des dirigeants bien que de plus en plus de startups les utilisent depuis quelques années. Mais il est surtout très mal connu des salariés qui ne comprennent pas ce mécanisme de prime abord.
J'ai eu l'exemple il y a quelques années dans mes équipes techniques avec un développeur qui avait été chassé par une très belle licorne française qui lui avait fait une proposition salariale imbattable et qui avait ajouté 50.000€ de BSPCE dans son package. Quand il est venu m'en parler pour me dire qu'il souhaitait partir, il m'a dit qu'il avait eu une sorte de bonus de 50.000€ à la signature ! En discutant avec lui, j'ai compris qu'il parlait de BSPCE. Et en lui expliquant la mécanique, il s'est rendu compte qu'on était loin d'un bonus et peut-être même d'un cadeau ! Le plus fou là-dedans c'est que nous distribuions aussi des BSPCE dans notre entreprise et qu'il en avait lui-même reçu. Mais il n'avait juste pas compris (et on lui avait mal expliqué) ce que ces BSPCE représentaient.
Définition
Un BSPCE est un Bon de Souscription de Parts de Créateur d'Entreprise. C'est le droit donné à un salarié (créateur ou non de l'entreprise) d'acheter, un jour, une action de l'entreprise à un prix défini au moment de la création de ce BSPCE. Ce n'est donc pas un bonus qu'on donne immédiatement ni même une action : le titulaire d'un BSPCE n'est donc pas actionnaire de l'entreprise et n'a donc aucun droit de vote ou droit particulier donné par la seule possession de ce bon.
Les BSPCE sont en général une mécanique qui est utilisée par les créateurs d'entreprise pour répondre à un double besoin :
- Aligner les intérêts : le but est que tout le monde profite d'une croissance de l'entreprise et de l'augmentation de sa valorisation. Classiquement, un salarié est rémunéré pour son travail par un salaire ( parts fixes et variables éventuellement). En cas de bons résultats, on peut lui distribuer des primes sous diverses formes (intéressement, participation, prime simple sur objectif, prime exceptionnelle, ...). Mais si la valorisation de l'entreprise augmente fortement et qu'elle vient, par exemple, à être revendue, ce sont les actionnaires ( souvent le ou les fondateurs, les investisseurs, ...) qui seront récompensés. Cette catégorie de personne prend des risques souvent plus importants que les salariés en investissant du temps, de l'argent et des compétences dans un projet. Il est donc normal qu'ils soient rétribués pour cette augmentation de l'actif de la société. Néanmoins, le constat est qu'un collaborateur qui est plus investi dans son entreprise va créer plus de valeur pour cette société et donc va en augmenter la valorisation. Pour mieux investir un collaborateur, il a été imaginé de lui permettre d'être intéressé sur la valorisation de l'entreprise, comme peut l'être un actionnaire. Aligner les intérêts autour de l'augmentation de la valorisation d'une société est un des intérêts fondamentaux de cette mécanique.
- Fidéliser les collaborateurs : de la même manière qu'un associé fondateur a des chances de rester plus longtemps dans l'entreprise qu'un simple salarié, un salarié intéressé au capital de l'entreprise a aussi moins de risque de quitter l'entreprise en cours de route. Les BSPCE ont aussi pour vocation de répondre à cette problématique de fidélisation, notamment dans l'industrie Tech dans laquelle les développeurs talentueux sont fortement sollicités et peuvent recevoir des propositions salariales largement au-dessus de leurs émoluments actuels voire de leur valeur marché.
Quelques entreprises ont aussi utilisé les BSPCE comme mécanique de compensation pour rattraper d'autres manques : salaires plus faibles que ceux du marché, locaux peu adéquats, avantages salariés pas alignés sur les normes du marché, ... Bien que cela ait sûrement pu fonctionner occasionnellement, ces manques du quotidien ne sauraient être compensés, à mon sens, par une perspective de gain long terme. En effet, quand on doit payer un loyer, rembourser ou contracter un crédit immobilier, changer sa voiture ou partir en vacances, les BSPCE ne sont d'absolument aucune aide.
Montant et valorisation
Les BSPCE sont des bons pour acheter, dans le futur, des actions de l'entreprise à un tarif défini au moment de la création de ces BSPCE. Chaque BSPCE a donc un montant (100€, 200€, ...) fixe. Ce prix unitaire multiplié par le nombre de BSPCE détenus par le salarié permet tout simplement de calculer le montant que le salarié a le droit de donner à l'entreprise pour devenir son actionnaire.
L'objectif d'un BSPCE est de figer le prix d'une action qui doit évoluer à la hausse dans le temps. Par exemple, si mon BSPCE a été émis au prix de 100€ et que l'entreprise a une valorisation qui a progressé, mon BSPCE peut maintenant valoir 150€. Je peux donc l'acheter à 100€ et le revendre à 150€ (sous réserve, voire dans le dernier paragraphe), me permettant ainsi de gagner 50€. Si par contre, ce n'est plus 1 BSPCE que j'ai à ma disposition mais 1000 et que le nouveau prix d'un BSPCE n'est plus de 150€ mais de 1.500€, le gain devient tout de suite beaucoup plus substantiel. C'est sur ce type de pari que se fondent les BSPCE.
Le prix d'un BSPCE est directement corrélé à la valorisation de l'entreprise. La règle de 3 qui permet de passer de la valorisation de l'entreprise à la valeur d'un BSPCE est spécifique à chaque entreprise et dépend notamment du stock d'actions que les actionnaires se mettent d'accord pour allouer à ce stock à destination des salariés. L'entreprise A qui vaut 1M€ peut très bien émettre des BSPCE à 100€ pièce alors que l'entreprise B, avec la même valorisation, en émettra à 10€ pièce. La valeur à l'instant d'émission n'a aucun autre intérêt que d'être comparé à la valeur au moment des prochaines valorisations de l'entreprise. Ainsi, si les 2 entreprises A et B valent maintenant 5 M€ chacune, leurs BSPCE vaudront mécaniquement 500 ou 50€ pièce. Mais pour le collaborateur à qui on aura donné 1000€ de BSPCE, cela ne fera aucune différence.
Exercice et vesting
Les BSPCE sont limités aux salariés de l'entreprise. Pour les non-salariés (freelance, prestataires, ...) qu'on veut associer au capital, il existe d'autres mécaniques non couvertes dans cet article. Tout salarié d'une entreprise qui dispose d'un stock de BSPCE peut se voir attribuer un certain nombre de BSPCE. Certaines entreprises vont faire le choix d'en attribuer à tout nouveau collaborateur, d'autres uniquement aux personnes occupant des postes clés, ... Cette politique de répartition se fait au bon vouloir des actionnaires et des dirigeants. Ils peuvent aussi décider d'attribuer des BSPCE à l'embauche ou de manière régulière (chaque année, après la signature d'un gros contrat, ...) ou les deux.
Un collaborateur à qui on a attribué des BSPCE n'est en aucun cas tenu de les exercer (ie : de les acheter pour les transformer en action). Il peut très bien le faire dès que ces BSPCE sont exerçables, ne le faire que si les actions deviennent vendables (suite à un rachat, une augmentation de capital, une entrée en bourse, ...), ne le faire qu'à son départ de l'entreprise ou ne jamais le faire du tout. La seule limite est de ne pas dépasser 10 ans après leur date d'attribution.
Les BSPCE sont une mécanique d'alignement mais aussi de fidélisation. De ce second point de vue, elles ont donc un calendrier d'exercice (ie : le vesting). Un salarié à qui vous avait donné 150 BSPCE le 1er janvier 2024 pourra, par exemple, n'en exercer que 50 fin 2024, 50 autres fin 2025 et les 50 dernières fin 2026. De cette manière, si il quitte l'entreprise en Juin 2025, seules les 50 premières seront exerçables et il ne pourra donc transformer que celles-ci en actions.
La dernière condition pour pouvoir vendre des BSPCE est de trouver un acheteur. En effet, on dit d'une action d'entreprise qu'elle est liquide quand quelqu'un est prêt à l'acheter. Dans la majorité des entreprises, les actions tirées des BSPCE ne sont pas liquides : personne n'a d'intérêt à les racheter. Il y en a trop peu pour avoir un impact sur les décisions de la société et trop peu pour que les bénéfices potentiels couvrent les risques pris en achetant. Et les actionnaires existants ont en général signé des pactes qui leur interdit d'acheter ce type d'action en dehors de plages dédiées qui sont en général les opérations capitalistiques (levée de fonds, M&A, entrée en bourse, ...)
Calcul rapide
Dans le cas de mon développeur qui était parti avec un "bonus de 50.000€", en faisant le calcul avec lui, ces 50.000€ étaient loin de lui être garanties : ces 50.000€ de BSPCE voulaient donc dire qu'il devait payer à sa nouvelle entreprise 50.000€ sur une valorisation de 1 milliard d'euros. Pour gagner de l'argent, il fallait donc que sa société soit vendue ou introduite en bourse pour un montant supérieur à ce milliard d'euros. Avec une valorisation à 2 milliards, il allait donc donner 50.000€ à son entreprise qui lui donnerait l'équivalent en actions qu'il irait ensuite vendre sur le marché pour 100.000€. Son gain brut serait donc de 50.000€ mais il doit payer 30% de Flat Tax sur ce bonus soit 16.666€. Avec une entreprise qui a doublé sa valorisation pour valoir maintenant 2 milliards d'euros, il n'aura en réalité gagné que 33.333€, ce qui n'est certes pas un mauvais montant mais qui est assez loin du bonus de 50.000€ qu'il espérait initialement. Rapporté à sa période de vesting de 4 ans, ça voulait dire qu'il lui faudrait réellement 4 ans pour espérer pouvoir toucher cette somme soit environ 8.333€ par année d'ancienneté. Et tout ça de manière absolument pas garantie. Si l'entreprise n'accroit pas sa valorisation, ses BSPCE ne valent rien. Si l'entreprise ne rend pas ses actions liquides, ses BSPCE ne valent rien, ...
Les BSPCE sont donc très intéressants dans le cas des entreprises dont la valorisation va très fortement augmenter et qui ont des perspectives de revente ou d'entrée en bourse (de liquidité en tout cas) assez rapides.
Les limites
Bien que très importantes et de plus en plus populaires, les BSPCE ont tout de même quelques limites :
- le saupoudrage : en voulant donner des BSPCE à chaque nouvel arrivant, on limite l'impact sur la fidélisation. Peu de collaborateurs vont rester pour un gain potentiel et maximum de 5.000€ dans plusieurs années quand un concurrent leur propose un salaire en hausse de 5.000€ annuel brut.
- le mur du réel : pour beaucoup de collaborateurs, leur salaire suffit tout juste à payer leur quotidien (loyer, nourriture, éducation des enfants, loisirs, ...). La perspective d'un potentiel gain futur mais incertain et lointain ne remplacera pas un salaire confortable et garantie à court terme. En règle générale, dans le package salarial, le salaire annuel brut est le meilleur atour pour faire signer un candidat. Les BSPCE sont rarement regardés sérieusement par les opérationnels. Dans le cas de postes clés et avec des salaires déjà importants (experts, top managers, ...), la perception est toute différente même si elle nécessite d'être expliquée précisément avec vos perspectives de croissance et de valorisation future.
- le manque de turnover : un turnover fort est vu comme une mauvaise chose dans la majorité des organisations mais dans d'autres, un turnover faible est tout autant voire plus problématique, surtout dans des sociétés jeunes et avec une forte croissance qui vont passer très rapidement par différentes phases de croissance. Les premiers collaborateurs sont peut-être d'excellents opérationnels à cette étape mais seront-ils aussi d'excellents top managers ou experts quand l'entreprise aura plutôt besoin de ces profils-là. Avec trop de BSPCE et donc un gain potentiel futur trop élevé, un collaborateur pourrait être tenté de rester alors qu'il ne se projette plus réellement dans l'organisation. C'est le même risque que prennent les entreprises qui grandissent vite en taille d'équipe et qui embauchent donc des collaborateurs à des prix largement au-dessus du marché : le jour où ce collaborateur ne se retrouve plus dans la vision de l'entreprise, il va rester pour une mauvaise raison : son style de vie est fait pour ce salaire qu'il ne peut plus retrouver ailleurs, il est bloqué.
De mon expérience, je conseillerais de limiter les BSPCE aux personnes qui ont le plus d'impact sur l'évolution de la société. Ce ne sont pas forcément les Top Managers et membres du Comité de Direction mais ils peuvent être développeurs, product owners, commerciaux, ... mais ont une vraie expertise de leur métier et de votre domaine d'activité. Ce sont des personnes clés dans votre entreprise et vous avez déjà reconnus leur contribution forte à la création de valeur par un salaire conséquent qui leur permet de ne plus se poser la question de savoir comment ils vont pouvoir payer leur loyer : pour eux, les BSPCE sont un bonus dont ils sont en capacité de comprendre l'intérêt et les risques.